Un chanteur à la mode, par ailleurs talentueux, s’exprime dans une chanson sur le fait qu’on ne lui enlèvera pas sa « liberté de penser ». A l’appui de sa conviction, il égrène une litanie de ce qu’on « lui prend » ; liste matérielle, somme toute mesquine, s’opposant, j’imagine, à la beauté inaliénable, au sens littéral, de deux beaux mots accolés, se renforçant l’un l’autre : « liberté » et « penser ».
Car cette personne a des démêlés avec le fisc. Elle gagne beaucoup d’argent (en utilisant les structures et les règles de son pays) et le fait d’en redistribuer une partie (en respectant les structures et les règles de son pays) par le biais d’une de ces règles, c'est-à-dire l’impôt, lui pose soudain un problème. Bon c’est banal.
La litanie finit par déraper dans l’outrance (prenez ma femme, mes gosses, prenez mon corps, prenez mon shit, prenez mon âme…) car même si le fisc est féroce quand il veut faire rentrer l’argent dû à la nation, il ne pratique ni la traite des êtres humains, ni le trafic de drogue ou d’organes….
En ce moment, post-Charlie, ou les forums bruissent de débats +/- bien argumentés sur la « liberté d’expression », pour résumer : opposant ceux qui revendiquent le droit de dire qu’ils sont c*** et qui dénient le droit aux autres de le leur faire remarquer (cf. la maxime de mon blog :) ), à ceux qui pensent qu’être c** interdit de facto le droit de l’ouvrir, j’ai retenu une phrase de la philosophe Bérénice Levet :
"Cessons de donner ainsi la parole à la jeunesse. On la lui rendra quand on lui aura donné la langue. Il n'y a pas de pensée en dehors des mots. Nous entretenons dans l'esprit des jeunes gens l'illusion qu'ils "pensent", et qu'ils pensent librement. "
J’y rajouterai, quant à moi, une seconde illusion, faustienne.
Quand le chanteur en question dit :
« … Je peux bien vendre mon âme au Diable, avec lui on peut s'arranger… . » il oublie la contrepartie traditionnelle, la damnation éternelle, c'est-à-dire précisément la perte de liberté, de penser comme du reste.
Si ce discours prend dans la jeunesse, c’est entendu : c’est que la langue, donc la capacité de penser, n’est pas encore mature, mais c’est aussi parce qu’un esprit immature vit dans le présent, uniquement le présent, et qu’il ne mesure pas les conséquences futures de ses choix immédiats en matière de laïcité, de fascisme religieux, voire même de capitalisme, car finalement, que fait une banque qui vous endette pour 25 ans, vous donnant de quoi satisfaire immédiatement votre besoin, quitte à mourir à petit feu par la suite ?
Il n’y a qu’une voie, l’éducation. Elle se parcourt à pied, lentement, car, tel un raisin destiné à une grande cuvée, on ne hâte pas la maturation d’un citoyen de la république, de crainte qu’il ne se conserve pas.
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