Article tiré du "courrier international."
Ramadan pour tous
Colère d’une journaliste libanaise à qui on a refusé de servir du vin dans un restaurant de Beyrouth. Un phénomène nouveau au pays du Cèdre.
Quand nous entendions parler d’une police religieuse islamique en Indonésie, en Arabie Saoudite, en Iran, au Pakistan ou en Afghanistan, nous pensions que nous autres Libanais étions encore à l’abri de ses agissements. Je n’aurais jamais cru qu’un jour, en plein cœur de Beyrouth, dans un grand hôtel géré par un chrétien maronite et dont la construction a été bénie par un prêtre, nous aurions à l’affronter. C’était le 23 août. Nous sommes allés dans le restaurant de cet hôtel moderne pour le dîner. Une fois que nous avons été installés, le serveur nous a conseillé du vin et nous en avons commandé. Or il n’a pas tardé à revenir bredouille. Tout en s’excusant, il a retiré les verres de vin de la table. “Je suis désolé, mais nous ne pouvons pas servir de vin : nous sommes en plein mois de ramadan.”
Il était alors 8 heures du soir. Autour de nous, des clients de différentes nationalités prenaient leur repas. Nous n’avons pas compris immédiatement ce que le serveur voulait dire. Devant notre perplexité, c’est le responsable en personne qui s’est dérangé pour expliquer que, “par respect pour la sensibilité des clients musulmans”, il était impossible de servir de l’alcool. Nous avons fait remarquer que nous étions chrétiens, ajoutant qu’il devrait respecter les uns et les autres tant qu’on ne contrevenait pas aux bonnes mœurs, et qu’on était au Liban et non pas dans un pays islamique.
Notre interlocuteur nous a répondu qu’il avait reçu des instructions qui ne souffraient aucune ambiguïté : pas d’alcool pendant le ramadan. Et ce bien que le menu du restaurant fût resté tel quel. “Vous auriez pu au moins mettre un avertissement à l’entrée”, lui objectons-nous. Il cherche à s’en sortir par une solution qu’il estime probablement honorable : tout simplement remplacer nos verres transparents par des verres fumés afin de cacher l’alcool que les autres clients ne sauraient voir. Et, pour nous amadouer, il nous propose un petit “bakchich” sous la forme d’une bouteille de vin gratuite.
Cette idée fumeuse était encore plus choquante. C’était de l’hypocrisie d’apothicaire sous couvert de “respect” des musulmans. Nous avons refusé net ce bakchich : soit on avait du vin dans des verres normaux, soit on quittait l’établissement. La réaction de notre homme fut surprenante : “Vous ne comprenez pas. Pourtant, nos clients étrangers, eux, comprennent.” Il avait raison. Effectivement, nous, nous ne pouvions pas être “compréhensifs”. Car nous étions tout simplement nés et avions grandi dans un pays où les chrétiens avaient forgé des règles de cohabitation dans le respect de l’autre. Nous ne sommes pas une minorité avec un statut à part, qui doit renoncer à ses droits pour des raisons commerciales enrobées de prétextes religieux ne trompant personne. Une police religieuse en costard-cravate serait-elle en train de se déployer jusqu’au cœur de Beyrouth, vitrine du “Liban civilisé” ? Si on accepte cet état de fait aujourd’hui, qu’en sera-t-il demain ?
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